Parce que je suis amoureux de Céline Sciamma
Depuis ma prime jeunesse,
et depuis que j'en ai raté le concours d'entrée, j'ai un rapport
assez ambiguë avec la FEMIS (la principale école publique de cinéma
en France). Je lui ai souvent reproché de former de brillants
techniciens mais de tellement formater les étudiants en réalisation
qui en sortent, que ceux-ci en deviennent, bien souvent, incapables de raconter des
histoires qui leur soient propres.
Aussi, quelle n'a pas été ma surprise
quand j'ai découvert en 2007 « La Naissance des Pieuvres » basé
sur le scénario de fin d'études d'une élève de la section
« Scénario » de l'institution sus-citée. Cela m'a conforté dans l'idée que finalement les meilleurs réalisateurs étant sortis de cette écoles dans les dernières années étaient issus des sections Scénario et Montage.
La naissance des pieuvres (2007)
Mais surtout, je suis tombé sous le
charme du spleen adolescent et de la mélancolie qui habite le film, soulignés subtilement par la bande originale composée par Para-One,
ancien camarade de classe de la réalisatrice sur les bancs de la
Fémis. A travers une histoire qui n'était pourtant pas la mienne,
l'éveil amoureux d'une petite crevette, adolescente fragile, pour une
fleur, adolescente sensuelle, en pleine éclosion, Céline Sciamma a dépassé la question homosexuelle (on ne parle jamais de "question hétérosexuelle" ou pas assez) pour faire une chronique adolescente, et bien que j'ai connu dans mon adolescence des problématiques
différentes de celles de ses personnages, je les ai partagé pendant
la durée du film, grâce à cette magie composée d'écriture, de
jeu, de lumière, de cadre et de musique que l'on appelle le cinéma.
Quand je suis allé voir Tomboy, le second film de Céline Sciamma, je ne savais vraiment à quoi m'attendre. Un film sur l'identité transgenre ? La promotion de l'homosexualité comme on pu le voir certains (d'ailleurs, même si c'était le cas, je ne vois pas en quoi cela serait un problème, mais bref, ce n'est pas la question) ? Non, en fait, il s'agissait là encore d'une histoire d'éveil et de construction. Il s'agissait là encore d'une « simple » chronique adolescente, qui interrogeait avant tout la manière dont un individu se construit en dehors des codes et des attentes de la norme sociétale. Là encore je me suis senti concerné, non pas parce que le parcours et l'expérience de vie du personnage était proche de la mienne, mais parce que le cinéma, bien que dépassé en cela par le jeu vidéo, porte encore en lui une capacité à créer de l'immersion et à nous faire vivre l’expérience d'un personnage en nous mettant à sa hauteur, à son rythme, en nous harmonisant avec sa sensibilité. En faisant que nous ressentons ce qu'il ressent.
En cela, et bien avant de
voir Bande de Filles, je savais que j'étais déjà amoureux de
Céline Sciamma, non pas parce que c'est une jeune femme brillante et
pleine de charme, mais parce que c'est une cinéaste. Et que pour moi
être un cinéaste, c'est être capable de créer une empathie entre
un personnage et un spectateur qui peut s'en croire éloigné au
départ et qui finit par découvrir qu'il a lui aussi été
adolescent, qu'il a lui aussi essayé de rentrer dans un jeu social
pour lequel il ne se sentait pas toujours adapté et ce quelles qu'en
ai été les raisons.
Par ailleurs, alors qu'on
reproche souvent aux français, et notamment à ceux issus de la
Fémis, un parisianisme exacerbé, Céline Sciamma n'a jamais cessé
de filmer la banlieue. Et ce n'est pas parce que la Naissance des
Pieuvres avait principalement des personnages blancs que ce n'était
pas un film sur la banlieue. Car oui, il y a aussi des blancs en
banlieue. Il y a aussi des gens qui habitent dans des pavillons, en
banlieue. Il ne faut pas prêter aux autres les oeillières que l'on
peut parfois avoir.
Parce qu'on peut être un personnage de fiction et être une jeune fille noire
Soyons
un peu communautariste, une fois n'est pas coutume. Ça m'a fait
super plaisir que les héroïnes d'un film français soient noires.
Ça m'a fait plaisir de me dire que le chef opérateur de ce film a
construit sa lumière principalement pour mettre en valeur des peaux
noires. Ça peut paraître un peu primaire comme réaction de la part
d'un républicain comme moi, mais de la même manière qu'Eric
Zemmour parcours les plateaux télé en voulant faire reconnaître
qu'il y a des français de souche (c'est un débat que nous aurons,
mais ailleurs) j'aime l'idée que l'on reconnaisse dans le cinéma
français qu'il y a des français noirs et, en l'occurrence, des
françaises noires. Et le fait que les héroïnes de ce film soit
noires n'en fait pas pour autant une étude sociologique sur les
jeunes filles d'origine africaine dans la banlieue française, ni un
outils de travail pédagogique pour les travailleurs sociaux. Dans
les deux cas, ce serait renier le caractère artistique d'un travail
qui se place dans l’œuvre plus vaste de la cinéaste qu'est Céline
Sciamma. Bande de filles n'est un pas un film « social »,
c'est, comme les deux précédentes œuvres de sa réalisatrice, une
chronique adolescente. L'histoire d'un éveil et de la construction
d'une jeune femme, avec et contre son environnement.
Est-ce que Sisterhood of traveling pants est un film social ?
Non,
pourtant il raconte aussi l'histoire de 4 jeunes amies avec leur joie
leur peine, leur réussite et leur échec
Est-ce
que Mean Girls est un film social ?
Non, pourtant il travaille
aussi sur la question de comment on se fait sa place dans l'environnement social codifié qu'est le lycée. (et l'héroïne vient elle aussi d'Afrique. lol)
Je
prends ces exemples, un peu caricaturaux certes pour rappeler que si
les héroïnes de ce film n'avaient pas été noires, les spectateurs
ne se poseraient même pas la question de la nature sociale, du film.
Ne se poserait pas la question de savoir si Marieme est un exemple ou
non. Ils accepteraient le fait qu'il s'agisse d'un bout de parcours
de vie d'un personnage de fiction. D'ailleurs, personne ne s'est posé
la question sur La Naissance des Pieuvres. Personne n'a voulu en
faire le porte étendard des jeunes de Cergy, ni voir un signifiant
sociologique dans la pratique de la natation synchronisée.
C'est
pour cela que je vous invite à aller voir Bande de filles de Céline
Sciamma. Parce que j'ai ri, j'ai eu les larmes qui me montaient aux
yeux, j'ai kiffé, j'ai flippé, j'ai aimé, j'ai haï. Comme dans la
vie.
Et
paradoxalement, je n'aime jamais autant en film que quand il me donne
à vivre toute la palette des émotions que l'on peut vivre dans la
vie, mais en me faisant partager le parcours de personnages de
fiction. C'est ce qui fait la beauté du cinéma pour moi.
Longue
vie à Céline Sciamma et surtout, j'espère, du fond de mon cœur,
revoir ces graines de stars, ces petites actrices en or que sont Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh et Mariétou Touré vont réussir autant que Adèle Haenel ou Pauline Acquart dans les années
qui viennent.
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