dimanche 2 décembre 2012

La France est un pays dépressif





La rencontre avec nos cousins québécois (montréalais en l’occurrence) m'a appris au moins une chose. Elle m'a confirmé ce sentiment, cette idée, ce ressenti que j'éprouvais depuis quelque temps sans oser me le formuler:



Nous, Français, vivons dans un pays dépressif. 


Un pays miné par la peur et le doute. La peur et le doute de soi. La peur et le doute des autres. Un pays à ce point malade de la méconnaissance entretenue de son histoire mêlant royalisme et République qu'il en a démocratisé les habitudes de la vie à la cour du Roi. Un pays où la liberté n'existe que dans l'art du paraître, l'égalité dans la quête de privilèges, et la fraternité dans la grinçante comédie des moeurs, ce jeu vil dans lequel les rôles sociaux ont occultés les êtres.

Un pays confus, qui ne sait plus qui il est tant il est enivré par la vitesse de ce monde qui se fracasse sur la lourdeur d'un système qui fut crée pour un monde qui lui n'existe plus.

Un système qui n'est autre que la perversion, le dévoiement d'un héritage culturel et intellectuel riche, mais lui aussi issu d'un monde qui n'existe plus. Un héritage culturel pétrifié dans le classicisme et l'orthodoxie, dans une quête maladive de la pureté, cette maladie qu'on appelle perfectionnisme, recherche de l'expertise et qui n'est autre que le refus de voir la réalité telle qu'elle est et de s'y confronter. Un héritage qui tue par sa seule existence la souplesse nécessaire à l'évolution de la pensée, et par elle, au progrès. Un système à ce point intégré par tous que ceux là même qu'il opprime s'en réclament, l'entretiennent, parfois même le défendent avec la même ferveur, si ce n'est plus, que ceux qui les oppressent. Avec la même ferveur que celle avec laquelle le système se nourrit de leur sueur, de leur sang et de leurs larmes. 

Un pays dont les villes, et notamment la métropole capitale et capitaliste, ont les rues hantées par des fantômes. Ces fantômes de nous-même qui, comme dans Kaïro, sont happés par le virtuel, qu'il soit numérique ou cathodique. Ces fantômes que nous sommes, immergés dans la matrice au point de bien souvent la préférer au monde réel tant il est devenu quasi-exclusivement un lieu de lutte, de combat contre nous même et contre le monde. 

Un pays plein de qualité, mais qui a érigé en valeur, le fait de chercher ses défauts. Cette démarche que l'on appelle parfois le perfectionnisme, n'est autre que la volonté de se faire du mal, un élan d'autodestruction. Je ne dis pas, on peut dans la quête de l'excellence, chercher sans fin à améliorer l'améliorable, mais il arrive un point où tout cela devient contre-productif, on l'on inhibe les talents particuliers que l'on a su cultiver d'autres part. Où l'on détruit ceux qui nous paraissent faibles dans un contexte et qui nous sauverons dans d'autres. Notre pays est une mère qui n'aime pas tous ses enfants. 

Un pays dans lequel on a disséqué le corps social, encore une fois par cette orthodoxie intellectuelle qu'on appelle méritocratie alors qu'elle est la dictature du diplôme. Nous avons disséqué le corps social pour mieux séparer les pensées et les actes. Nous sommes une nation de l'intellect. Soit. Alors la pensée sera séparé du corps et de la vie qui l'habite au point que ceux qui pense notre glorieuse nation ne la vivent plus, perchés qu'ils sont dans la pensée, et que ceux qui la vivent, n'aient plus le temps, ni le loisir de la pensée, abrutis par cette vie bête de somme qui consiste à peiner pour gagner le droit à l'espace, le droit au plaisir, le droit au minimum, le droit à l'air, le droit au bonheur. Baudrillard disait avec raison dans la société de consommation : 

"On parle beaucoup, de droit à la santé, de droit à l'espace, de droit à la beauté, de droit au vacances, de droit à la culture. Et au fur et à mesure que ces droit nouveaux émergent, naisse simultanément les ministères : de la Santé, des Loisirs - de la Beauté et de l'Air Pur, pourquoi pas ? Tout ceci qui semble traduire un progrès individuel et collectif général, que viendrait sanctionner le droit à l'institution à un sens ambigu, et on peut en quelque sorte y lire l'inverse : Il n'y a de droit à l'espace qu'à partir du moment où il n'y a plus assez d'espace pour tout le monde, et où l'espace et le silence sont les privilèges de certains au dépens des autres. De même qu'il n'y a eu de "droit à la propriété" qu'à partir du moment où il n'y a plus eu de terre pour tout le monde, il n'y a eu de droit au travail que lorsque le travail est devenu dans le cadre de la division du travail, une marchandise échangeable, c'est n'appartenant plus en propre aux individus. On peut se demander si le "droit aux loisirs"  ne signale pas, de la même façon, le passage de l'otium, comme jadis du travail, au stade de la division technique et sociale et donc en fait, la fin des loisirs. 

L'apparition de ces droits sociaux nouveaux, brandis comme slogans, comme affiche démocratique de la société d'abondance, est donc symptomatique, en fait, du passage des éléments concernés au rang de signes distinctifs et de privilège de classe (ou de caste). Le "droit à l'air pur" signifie la partie de l'air pur comme bien naturel, son passage au statut de marchandise et sa redistribution sociale inégalitaire. Il ne faudrait pas prendre pour du progrès social objectif (l'inscription comme "droit") dans les tablettes de la loi) ce qui est progrès du système capitaliste - c'est à dire, transformation progressive de toutes les valeurs concrètes et naturelles en formes productives, c'est à dire en sources 
- de profit économique,
- de privilège social

Jean Baudrillard, la Société de Consommation (1986)


Comme je l'ai dit et le redirais par ailleurs, "j'aime trop la France et la déteste...". Ce pays a fait de moi ce que je suis et, dans le même temps, il me nie, me détruit, me cajole, me fantasme et puis m'insulte. Il me demande de lui rendre un amour qu'il ne me donne pas et, bonne pâte, je le fais, mais comme j'en souffre !

J'ai mal à ma France. J'ai mal à mon âme parce que je veux avoir la foi en un pays qui ne l'a plus. Parce que je veux aimer d'un amour fraternel des personnes qui ne me voient pas comme leur frère. Parce que je veux être moi et qu'on me demande d'être autre. 

J'ai mal à ma France, parce que je l'aime et que, mauvaise coucheuse, elle fait tout pour que je la quitte.

On critique souvent, de ce côté de l'atlantique, la fierté qu'on les américains à être ce qu'ils sont. Certes, ils en font souvent trop, vont trop loin dans cette démarche au point d'en devenir, ici ridicule et là agressif, mais au moins, ils ont l'art d'avoir foi en eux même, là où le doute, chez nous, deviens de la critique, souvent plus destructrice que constructive. 

Que je le veuille ou non. Que vous le vouliez ou non. Je suis Français.

Et si Tonton Daniel était issu d'un peuple qui a beaucoup souffert, moi, je suis citoyen d'un pays dépressif. 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire