lundi 20 août 2012

Sean Paul ou la vulgarisation du Dancehall






Parfois les idées les plus lumineuses arrivent dans les plus improbables circonstances. Alors que j'assistais à la soirée d'anniversaire d'un ami que nous nommerons G. et qu'il serait mensonger de dire que j'en étais à mon premier verre, j'ai, au détour d'une chanson et des déhanchements lascifs de certaines demoiselles sur la piste de danse, pris conscience des raisons du rapport complexe que j'entretiens depuis toujours avec la musique de Sean Paul.


Avant de me lancer plus avant et, afin de ne pas me faire étriper par des fans de l'artiste, je me dois de préciser la définition exacte du terme "vulgarisation".

La vulgarisation est une forme de diffusion pédagogique des connaissances qui cherche à mettre le savoir (et éventuellement ses limites et ses incertitudes) à portée de tous et chacun.

C'est l'ensemble des actions permettant au public d'accéder à la culture, et en particulier aux cultures scientifiques, techniques, industrielles ou environnementales, c'est-à-dire aux savoirs, savoir-faire et savoir-être de ces disciplines.

La vulgarisation est depuis toujours intimement liée à la démarche scientifique1. C'est une nécessité pour l'avancée du savoir. Elle est nécessaire à la conservation de la production scientifique (alors vue comme bien commun). Le partage des résultats avec le plus grand nombre facilite la critique positive et améliorative, et est même facteur de sérendipité.

La vulgarisation permet aussi au citoyen de pouvoir saisir d'un enjeu la communauté scientifique, ce qui se développe via certains partenariats entre recherche et citoyens. Mais cette dernière piste reste encore marginale, comparativement à l'espace occupé par la vulgarisation plus « classique » (magazines, émissions de télévision, livres, musées de science, universités populaires, cours publiques, etc.).





Il est relativement difficile au jour d'aujourd'hui d'ignorer l'oeuvre de celui qui a notamment marqué l'année 2003 avec son album Dutty Rock et les tubes planétaires qu'il comportait tels que Gimme the light, Shake that thing, ou bien Get Busy. 






Je précise une fois encore, mon but ici n'est ni de moquer l'artiste, ni de minorer son talent mais d'exposer un fait : L'oeuvre de Sean Paul a pour but de permettre aux petits blancs (et aux petites blanches) de la terre entière de se trémousser comme dans la moiteur d'un sound system du fin fond de Trenchtown.(1)

Pour expliciter ma pensée, je vais devoir une fois encore vous raconter ma vie. 

Jeune lycéen, j'ai longtemps fréquenté les soirées et les boites antillaises avec mon ami R. (Il s'avère que j'habitais en plus à 5 minutes de la 5e dimension et du Nelson, dans le triangle des Bermudes des nuits afro-caribéennes de Paris). 

A dire vrai c'était plus par envie de maîtriser l'art O combien subtile du zouk love que pour y découvrir le ragga dancehall que nous fréquentions ces soirées, mais il va sans dire que lorsqu'on était amené à y danser sur du ragga c'était de manière tout aussi sérieuse, et quand je dis sérieux, je parle d'un sérieux qui s'exprime en sueur et en érection. 

Je reviendrais un jour sur le zouk love et sur l'approche lyrique que l'on peut en avoir. A cette époque, pour nous la maîtrise du zouk love était une véritable "Voie du Samouraï".

Au cours de mon adolescence, le dancehall était donc pour moi un truc sérieux, comme on dit chez moi. Une danse de spécialistes dont les profanes ne pratiquaient  qu'un vague simulacre. 

Quelques années plus tard, alors que l'éloignement géographique, ainsi que les études supérieurs m'avaient fait prendre du recul sur la pratique du rap que j'avais entamée, avec mon ami R, je suis tombé sur des camarades à la fac ayant la bonne idée d'être également montreuillois (comme moi). Ils exprimaient en musique leur amour de Jah, de leur prochain et de quelques substances évanescentes.

Avec eux, je me suis mis à poser des couplets rap sur des morceaux reggae ragga dancehall et, de fait, à en écouter tout autant. J'ai eu la chance de tomber sur des puristes, des connaisseurs de cette musique, de son passé, de son présent et de ses codes. Ils m'ont fait découvrir cette musique dans sa verticalité historique autant que dans son horizontalité stylistiques. De l'amour de Jah, à l'amour des culs, des années 70 à nos jours. 

Ce double apprentissage par l'écoute et par le corps m'a permis de saisir, sans pour autant la maîtriser, la subtilité et la complexité de cette musique. Et comme toutes les choses subtiles et complexes, elle ne s'ouvre complètement qu'aux personnes ayant à la fois la sensibilité et la culture pour être capable de la comprendre. Je me souviens avoir cessé de penser que le Death-Metal était du bruit quand un pote métalleux, m'a appris à l'écouter. 

Mais pour revenir à notre sujet, il est vrai que jusqu'au début du siècle, le ragga dancehall était cantonné à une niche de public. Il existait bien sûr des artistes qui en dépassaient les frontières, en voici quelques exemples :








Mais ces morceaux avaient au moment de leurs sorties, une teneur exotique qui renvoyait immanquablement aux fantasmes de la Caraïbe. Là où Sean Paul a fait la différence c'est que tout le monde s'approprie ses morceaux. Les choses n'arrivent bien sûr pas par hasard. On parle ici d'une idole de la génération youtube. Et si quelques jouvencelles se sont filmées avec la caméra VHS-C de la famille en train de se déhancher sur la voix rauque de Shabba, il est probable que personne d'autres que les auteures n'ai vu la vidéo. 

Ce qui caractérise Sean Da Paul et qui me pousse à vous raconter tant de choses, c'est que la grande force du monsieur c'est d'avoir réussi à créer une formule. A créer une forme de ragga dancehall, suffisamment douce et sucrée pour s'adapter à tous les palais exactement comme l'explosion en France des restaurants Sushi-Yakitori donne à tout un chacun l'illusion de manger régulièrement de la cuisine japonaise. Au delà du fait qu'ils soient rarement tenus par des japonais, on peut dire que malgré toutes leurs qualités gustatives et nutritives, ils représentent une approche très incomplète de la complexe cuisine japonaise.  

Je rappelle donc qu'il ne s'agit ni d'une critique, ni d'une attaque à l'encontre de la personne ou de l'oeuvre de Sean Paul. C'est la mise en forme d'une idée qui m'est apparu en regardant une fille, ma foi plutôt mignonne se déhancher sur du Sean Paul comme si sa vie en dépendait.


Comme quoi...ça donne des idées. 


1 NDLR
J'ai songé à un moment à illustrer mon propos par une vidéo, mais j'ai très vite été entraîné dans le "maelström youtubien" des vidéos de #Whitegirlbootyhakin' et c'est une recherche qui tend à détourner de la voie déjà ardue de l'écriture. Car au milieu des vidéos de type #fail qui provoquent l'hilarité (ou la compassion dans le pire des cas) on trouve des vidéos réussies et on touche là à une pratique artistique qui mériterait un article entier.  

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